Charles-Élie Delprat
Castilla Habla, 2024

Des vallées, des rues, des aéroports ; des immeubles, des nuages, des champs. Des paysages que l’on pourrait appeler plutôt des vues : des images choisies par un regard qui se pose sur les choses et, à un certain moment, s’arrête, retenu par une lumière, attiré par une perspective. Comme des fragments de monde, des cadrages très précisément découpés là où un paysage livre un peu de son essence en même temps qu’il s’offre comme pur motif, assemblage de volumes et de couleurs.

Ce regard, dont on sent immédiatement la présence et la quête, a conservé quelque chose de sa formation initiale : celle d’un architecte et paysagiste qui étudie les bâtiments et les espaces, les croque inlassablement pour s’en approprier les lois de construction et de perspective. On y devine aussi une dimension que l’on pourrait dire météorologique : une attention très minutieuse à la qualité de la lumière, à la teinte du ciel et des ombres, au degré de sécheresse ou d’humidité de l’air – éléments approchés avec tout autant de précision, mais où se lit aussi un penchant vers une certaine rêverie, vers quelque chose de plus fluide et éthéré. Cette appréhension météorologique du monde est celle de quelqu’un qui confesse « une petite passion un peu inavouable pour les nuages ». C’est aussi, plus simplement, celle d’un peintre qui développe son regard et sa pratique à l’air libre, sur le vif, avec toutes les implications techniques que cela suppose.

Passant une grande partie de son temps sur les routes, du Cantal à l’Italie, de l’Espagne à l’Ouganda, Charles-Élie Delprat s’y accompagne de carnets qui deviennent comme le lieu d’origine et d’élaboration première de ses œuvres. Les fabriquant lui-même, il en fait une sorte d’atelier portatif qui, par les contraintes qu’il impose, lui dicte aussi bien une manière d’approcher les lieux qu’une manière de peindre, faite de vivacité et d’économie de moyens, de délicatesse et de fulgurance. D’où un goût pour les dessins jetés « à grands traits », pour les aquarelles déployées « à grandes eaux », qu’il admire également dans les carnets de maîtres : Théodore Rousseau, Turner, Poussin, Le Lorrain ou Corot. D’où aussi un soin tout particulier porté au choix du papier et à la préparation des fonds, devenus déterminants dans son travail.

Charles-Élie Delprat représente des paysages. Il les représente, mais aussi les parcourt, les arpente, se laisse travailler par eux.

Charles-Élie Delprat (n. 1987)

Castilla Habla, 2024

Pierre noire et pastel sur papiers teintés et collés
Signé et daté en bas à droite
50 x 95 cm

EN SAVOIR PLUS

Delprat est un peintre voyageur, et plus précisément un peintre marcheur.

Formé notamment par Jean-Baptiste Sécheret, Emmanuel Mentzel et Simon Vignaud, Charles-Élie Delprat possède une technique rigoureuse, qui emploie les mediums les plus traditionnels (encre, aquarelle, gouache, gravure, crayon, pigments) en s’attachant, dans une démarche qui tient à rester au plus proche de l’artisanat, à en maîtriser et explorer toutes les combinaisons et possibilités. Ainsi de ses dernières séries consacrées aux paysages de Castille ou aux rues de Naples, dessinées à la pierre noire et à la craie sur des assemblages de papiers préalablement colorés, puis découpés et marouflés sur papier fort. Il parle à propos de son travail d’une « dimension exploratoire ». Celle-ci concerne aussi bien ses expérimentations techniques que son cheminement, à la fois géographique et intellectuel, dans les paysages qui lui tiennent à cœur : « Au début de chaque nouveau carnet il y a un projet de voyage. L’accumulation des pages fabrique un récit dessiné d’explorations des territoires autant que d’errances personnelles. » Chaque page et chaque œuvre tend ainsi à devenir comme un exercice spirituel du regard, une relation qui se noue et s’approfondit avec un lieu, une manière de répondre à la fascination que suscite une montagne, une lumière sur une façade ou un certain vert au bout d’une rue.

Cela se traduit souvent par un processus de transformation des images, qui, en étant retravaillées ou remémorées, se modifient, se croisent, s’assemblent pour former un paysage qui, s’il n’est plus à proprement parler réel, a l’intense réalité d’une ambiance, d’un souvenir ou d’un rêve. De ces œuvres se dégage en effet quelque chose comme une mélancolie, sans doute accentuée par l’absence de toute figure humaine, qui donne à qui les regarde l’une après l’autre l’impression d’un monde déserté, dépeuplé. Et néanmoins, loin de toute nostalgie, ce monde qui se donne à voir est absolument contemporain, fait de routes, de trajets en avion, de vallées immuables. Plutôt que dépeuplé, on pourrait parler d’un monde désaffecté : désaffecté par un regard qui s’attache à défaire l’évidence qui nous y lie, à le regarder sans y projeter aucun autre affect que le sien propre et singulier, pour arriver, devant un ciel ou une cimenterie, à « [s]’y confronter sur place, sans jugement de valeur à priori, et simplement les représenter comme une des choses qui composent le monde contemporain. »

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JEAN-PIERRE PINCEMIN | Les amants séparés, 1998